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Dieudonné Niangouna: «un comédien doit battre la langue»

À l’occasion de sa dernière création à la MC93 Bobigny, « Portrait désir », le comédien, metteur en scène et auteur revient sur sa foisonnante carrière, du Congo au Festival d’Avignon en passant par la Comédie Française, et sur la nécessité de jouer dans l’urgence et l’immédiateté.

Dieudonné Niangouna est né à Brazzaville, au Congo, où il créé la Compagnie « Les Bruits de la rue » dont il signe les textes et les mises en scène. Il écrit son premier texte, Carré Blanc, en 1997, à l’aube de la deuxième guerre du Congo. Pris en otage, il doit l’écrire sur les pans intérieurs de sa chemise et en joue des passages, en cachette, aux autres otages. De cette expérience, il a tiré les principes fondateurs de son écriture, un « théâtre d’urgence » qui doit sans cesse chercher l’immédiateté de la situation et la nécessité de faire corps avec la poésie.

En 2004, il devient le directeur artistique du festival « Mantsina sur scène » qui se tient chaque mois de décembre à Brazzaville, avant de faire partie, l’année d’après, des quatre auteurs de théâtre d’Afrique sélectionnés et présentés en lecture à la Comédie-Française. Depuis, il est programmé à plusieurs reprises au festival d’Avignon, dont il fut le premier artiste africain associé. Ses premières créations, Attitude Clando en 2007 et Les Inepties volantes en 2009, ont reçu un franc succès. Il a publié une quinzaine de pièces dans lesquelles il explore les infinies modalités de sa propre langue.

Sa dernière création « Portrait désir » se joue à la MC93 Bobigny du 25 novembre au 10 décembre 2022. Cette fresque théâtrale et musicale d’une durée de quatre heures convoque sur scène la figure fondatrice de la grand-mère de l’auteur, sorcière-conteuse et gardienne d’un savoir aussi merveilleux que surnaturel. L’occasion de revenir avec lui, le temps d’un entretien au long cours, sur son parcours, ses imaginaires et son processus créatif.

Le “big, boum, bah”, un langage théâtral en réponse à la violence de la guerre

C’est la deuxième guerre civile du Congo, en 1997, qui a amenée Dieudonné Niangouna à inventer son propre théâtre et sa propre écriture, pour être en phase avec ce qui se passait. Comme tant d’autres, il a dû fuir les combats à Brazzaville, dans un train surnommé le « train des cadavres », avant de revenir en 1998 et d’être pris en otage par les combattants soutenant Bernard Kolélas. Sauvé par le théâtre, l’artiste reprend plus fort que jamais ses activités théâtrales à la fin de la guerre et créé la pièce “Carré blanc”, qu’il avait continué à écrire en captivité. C’est à ce moment que s’invente vraiment son style, le “big, boum, bah”:

« Je voulais répondre de façon dramaturgique à la violence des armes, aux obus. La plus belle chose que peut faire le théâtre, c’est de trouver un langage pour arriver à laver l’oreille et l’œil du spectateur qui a été pris dans des traumatismes. Comment le théâtre peut-il apporter une autre écoute, une autre esthétique et une autre oreille par rapport à notre regard? Ca me demandait de me déplacer réellement, de ne plus faire le théâtre comme je le faisais avant. Pas parce qu’avant mon théâtre n’était pas intéressant, mais parce qu’il ne correspondait plus car je me retrouvais désormais devant des gens qui venaient de vivre des crises et qui avaient besoin de vie, d’une autre énergie » Dieudonné Niangouna

« Un comédien doit battre la langue. Nous sommes des animaux parlants sur le plateau et nous rendons un hommage à cette belle chose qu’est ce langage articulé que nous avons eu en venant au monde. […] Un écrivain ou un auteur est quelqu’un qui travaille à l’intérieur des mots. Qu’il prenne le prétexte d’une histoire, il reste un ouvrier qui travaille dans la forge de la langue. Il passe par les différentes symétries qu’il faut pour créer des mosaïques du langage » Dieudonné Niangouna

Processus créatif

« Je nourris pendant cinq à six mois quelque chose qui deviendra le texte. […] J’ai l’impression d’avoir d’abord une mer des choses touffues qui n’ont pas de forme et qui jaillissent comme des sauts d’humeur. Je peux être en train de discuter avec des amis et puis ça sort comme si c’était le morceau d’un quatrain qui était arraché d’une planète et qui passait par ma bouche. Ça peut sortir aussi comme étant un geste. Plus ça s’échappe de moi et plus ça commence à prendre forme, jusqu’à finir par devenir une intention assez précise que je partage à des complices autour de moi. Et c’est à ce moment-là que je me rends compte que je dois passer à l’écriture » Dieudonné Niangouna.

« Portrait désir » ou l’héritage d’une grand-mère fondatrice

« Convoquer ma grand-mère dans mon spectacle c’est la saluer, mais aussi témoigner d’une osmose poétique. Comment la même parole qui était reste mais avec sa ferveur d’aujourd’hui, continue d’être avec ce que je mange, j’écoute et je vis aujourd’hui. C’est la même parole qui se transcende, qui évolue, qui se transforme, mais qui garde la même dynamique. Je crois que c’est Tupac Shakur qui disait que « Les guerres se succèdent, mais l’âme du guerrier reste invincible ». C’est quelque chose que j’aime beaucoup. Il y a aussi un adage au Congo qui dit « Si tu hérites de quelque chose, fais le fructifier ». C’est une citation que ma grand-mère me soufflait beaucoup à l’oreille quand elle finissait de dire ses contes. » Dieudonné Niangouna.

 

La Rédaction

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