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Ibrahim Kamara, la mode au nom de l’Afrique

Véritable prodige de la mode du haut de ses 33 ans, le designer et artiste Ibrahim Kamara ne s’arrête plus de monter. Kamara a su se faire un nom dans le monde impitoyable de la mode, avec une approche personnelle et des créations d’inspiration africaine, rendant hommage constamment à son continent de naissance. Mais le chemin jusqu’aux projecteurs de Paris, Londres, Milan et New York n’a pas été chose aisée depuis sa Sierra Leone natale qu’il a fui pour une meilleure vie. Portrait.

30 Septembre 2022. La Maison Off-White, propriété à 60% du groupe LVMH, rend hommage à Virgil Abloh, le designer qui l’a portée au sommet, décédé d’un cancer fin 2021 et qui aurait fêté ses 42 ans ce jour-là.

Sur un écran des modèles homme et femme, habillés en bleu et noir, présentent une chorégraphie dans un décor de nuages. Il s’agit de la première collection présentée au public du nouveau designer en chef, le Sierra Léonais Ibrahim Kamara, nouveau capitaine de la marque urbaine au logo en forme de « X ». Mais de Freetown aux passerelles des fashion weeks de Paris et de Londres, la trajectoire d’Ibrahim Kamara aura été semée de galères et de difficultés.

Né à Freetown en 1990, Ibrahim Kamara grandit avec sa famille dans un cadre difficile, où les problèmes pour subvenir aux besoins basiques rythment le quotidien de la fratrie. « L’enfance a été compliquée en termes de confort, car nous étions dans une situation précaire. Mais mes parents faisaient tout pour que nous ne nous rendions pas toujours compte de notre pauvreté « , précise-t-il, avant d’ajouter « par exemple, on faisait des jouets avec des morceaux de bois, avec des objets que l’on utilisait et ça nous faisait rire, ça donnait du baume au cœur dans notre vie d’enfant ».

Pour donner un coup de main aux siens, Ibrahim aide sa mère et sa grand-mère à vendre des tissus sur les marchés locaux. C’est là que naît son amour pour la mode et les différentes étoffes. « Je suis tombé dedans assez rapidement. Les textures, les couleurs, les coupes, les formes, c’était un enchantement permanent pour mes yeux d’enfants. Je voyais ces femmes coudre, couper, donner des formes à des morceaux de tissus. C’était comme si on inventait en permanence des pièces uniques, ça m’a fasciné dès le premier jour « , se rappelle-t-il.

Statut de réfugié avec le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés

Pourtant la violence quotidienne et la guerre civile rongent le pays, l’insécurité grandit et les représailles du pouvoir en place sur les opposants sont sans répit. Quand il a 10 ans, sa famille décide de l’envoyer en Gambie chez des proches pour qu’il soit en sécurité, et qu’il puisse avoir une vie plus stable.

Mais le jeune Ibrahim voit plus loin. Il se voit un avenir en Europe pour vivre son rêve de travailler dans la mode. Depuis la Gambie, il parvient à obtenir un statut de réfugié avec le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) valable au Royaume Uni. « À 16 ans, j’ai pu partir en Angleterre », se remémore-t-il.

À son arrivée, il passe des entretiens pour intégrer la prestigieuse école d’arts et de design, la Central Saint Martins de Londres, l’une des très rares écoles dans ce domaine dont les frais de scolarité ne sont pas exorbitants. Cette école, qui se veut inclusive, recrute ses talents sur entretien uniquement. Ibrahim Kamara est pris. « J’étais comme un fou, je n’allais pas laisser passer cette opportunité, moi, le petit Sierra-Leonais qui venait de si loin « , raconte-t-il. Sur les bords de la Tamise, et au milieu d’élèves venus du monde entier, le rêve d’Ibrahim commence à devenir réalité.

Un homme talentueux, pressé, mais qui n’oublie pas d’où il vient

À Central Saint Martins, qui compte parmi ses anciens diplômés Stella McCartney, Alexander McQueen et Sarah Burton, Kamara est un élève dynamique, très sociable. Il cherche constamment à apprendre et à échanger avec les autres étudiants venant d’horizons divers et variés. « J’ai rapidement remarqué qu’Ib’ – son surnom –  voulait accumuler le plus de savoirs et de connaissances possible, et qu’il était une véritable éponge », cite son ancien professeur de design Francis Okinwabo. « Il a cet esprit, cet appétit d’apprendre encore et toujours, et il a aussi toujours eu la volonté de montrer sa créativité artistique avec une influence de chez lui, des couleurs, des matières et des coupes de vêtements que l’on fabrique dans l’Ouest de l’Afrique », ajoute-t-il.

Kamara est fou des mouvements de mode et des vêtements du Sénégal, de Gambie, de Sierra Leone, mais il est aussi très inspiré par les magazines et les photographies de mode des années 1970 et 1980 affichant des personnes de l’Ouest africain. Cette « West African Touch » est son moteur créatif. Aussi, dès la fin de son cursus en 2012, il entre directement chez Stella McCartney. Dior vient ensuite l’approcher, et Kamara travaille avec la maison française, avant de passer par Burberry, puis par Louis Vuitton.

Ses créations font les couvertures des plus grands magazines de mode du monde : Vogue États-Unis, Vogue Italie, British Vogue, mais aussi le New York Times, et Fashion Edition. « Tout a pris une ampleur folle très rapidement. J’ai tout fait pour surfer sur cette vague de la meilleure manière possible et pour vivre cela à fond, bosser dur et me faire ma place dans ce milieu si prisé », souligne

La jeune étoile montante ne veut pas s’arrêter là. Il décide d’entrer en contact avec Virgil Abloh via Instagram, courant 2018. Après quelques échanges, les deux créateurs se rencontrent. Abloh le prend sous son aile. Pour le designer aujourd’hui disparu, Kamara était un « talent que l’on ne voit que tous les 20 ans dans le milieu », avait-il dit de lui en 2019. Le jeune Sierra Léonais devient alors le designer et le conseiller attitré d’Abloh. Il le conseille sur les matériaux, les coupes, apportant en permanence une touche africaine dans ses créations.

« Ibrahim est un Africain dans l’âme, dans son corps. Il est toujours arrivé à mélanger les autres styles, européens et autres, avec l’Afrique. C’est un homme moderne, qui veut que l’Afrique et ses créations soient connues et reconnues. Il est passionné par cela », sourit Gwen Kwadwo, styliste anglo-ghanéenne qui a travaillé avec lui pendant plusieurs années.

En 2021, Kamara devient le rédacteur en chef du magazine de mode et design Daze. L’homme a plusieurs cordes à son arc. Mais en novembre de la même année, la nouvelle tombe : Abloh succombe à une maladie rare à 41 ans. Cinq mois plus tard, la maison Off-White décide de nommer Kamara à la tête de la création et du design de la marque. Kamara s’inspire de la patte Abloh pour lancer la première collection, et rend hommage à son ancien mentor.

« C’est quelqu’un qui n’oublie jamais ses prédécesseurs, ses mentors, les gens qui l’ont aidé à en arriver où il en est aujourd’hui », précise Linda Okzie, l’une des mains travailleuses de l’écurie Off-White. La jeune étoile montante de la mode est l’un des plus talentueux designers de sa génération, mais possède un élément, une philosophie de vie qui ne changera jamais : ses terres d’origine et le continent africain. « L’Afrique, c’est mon cœur, c’est ma source d’inspiration, d’imagination, de création, et c’est un trait, une touche permanente dans mon travail dans ma vie. C’est mon âme qui s’exprime comme cela, avec un amour infini « , conclut-il.

 

La Rédaction

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