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Sarah Diouf  habille Beyoncé et Naomi Campbell avec sa marque  Tongoro

Lancée en 2016 à Dakar, la marque Tongoro, prisée par des stars du show-biz, connaît un succès international. Sa créatrice, Sarah Diouf, espère mettre à profit cette visibilité pour promouvoir le savoir-faire africain et inspirer d’autres designers du continent.

Pour Sarah Diouf, il y a un avant et un après Beyoncé. Avant 2020, Tongoro, lancé quatre ans plus tôt par la jeune femme, âgée aujourd’hui de 36 ans, avançait de son pas tranquille de jeune griffe sénégalaise. Et puis, tout s’est accéléré à la sortie, fin juillet 2020, du long-métrage musical Black Is King, de Beyoncé. La star américaine y apparaît vêtue d’un ensemble pantalon noir et blanc, signé Tongoro, au milieu de flamants roses. Vu plus de 11 millions de fois en deux jours, le film, diffusé sur Disney+, a alors boosté la marque encore confidentielle, entraînant une envolée des commandes et du chiffre d’affaires.

Depuis cet événement fondateur, la reine de la pop music est devenue une cliente régulière et, à ce titre, sa photo figure aux côtés de celles de la pianiste et chanteuse américaine Alicia Keys ou de la top-modèle britannique Naomi Campbell, dans le hall d’un appartement de Scat Urbam, immeuble moderne de Dakar, où la designer a installé son bureau et son atelier de confection.

Si ces ambassadrices VIP ont adhéré très vite à la marque, c’est que Sarah Diouf se sert de la mode, des étoffes, des coupes et des volumes, pour raconter son continent. Ses créations vestimentaires illustrent une « Afrique en marche », selon elle, et c’est ce qui plaît à son public le plus engagé. Au départ, en fine observatrice, la jeune femme, alors basée à Paris, a l’intuition d’une renaissance africaine encore sous-jacente sur laquelle elle doit surfer, mais c’est sa rencontre avec « Dakar la créative » qui l’aidera à affiner son projet.

Née à Paris d’une mère sénégalo-centrafricaine et d’un père sénégalo-congolais, puis élevée en Côte d’Ivoire, celle qui se définit comme « une enfant de l’Afrique » observe, au début de la décennie 2010, que « l’engouement pour les tissus africains permet une réappropriation des cultures traditionnelles et suscite l’éclosion de créateurs contemporains africains ». Cette ébullition autour de l’Afrique et de ses produits, cet enthousiasme pour ce qui vient du continent l’inspirent, mais il lui faudra plusieurs années pour trouver vraiment sa voie.

« Incarner la fierté africaine »

Spécialiste en communication, titulaire d’un master en gestion du marketing et de la communication obtenu à Paris, elle commence, en 2009, par la création d’un webzine baptisé Ghubar, un « espace de promotion des artistes africains et arabes dans le monde de l’art, de la culture et de la mode ». En 2015, elle enchaîne avec Noir, un magazine sur l’art de vivre, qui raconte la beauté et le stylisme africains. C’est par cette porte dérobée qu’elle entre dans le monde de la mode.

De fil en aiguille, elle chemine doucement vers l’idée de créer une marque made in Africa qu’elle imagine comme un vecteur des savoir-faire du continent. « Je veux, de longue date, incarner la fierté africaine dans des créations de valeur », résume aujourd’hui Sarah Diouf. Créatrice mais aussi metteuse en scène donc, à travers ses collections, d’une histoire valorisant l’Afrique subsaharienne. L’étoffe s’est imposée à elle, la mode lui semblant être le vecteur idéal de ce narratif.

Elle s’installe en 2016 à Dakar, où l’omniprésence des tailleurs de rue, affairés du matin au soir à confectionner les tenues sur mesure que chacun leur commande, la séduit. Sarah Diouf se nourrit de ce talent brut, « fascinant », qu’elle détourne au service de sa griffe. Très vite, elle s’entoure de quatre tailleurs qui produisent entre cent et deux cents pièces par mois au sein de son atelier. En sortent des robes aux manches amples et aux épaules démesurées, des combinaisons aux jambes larges, modèles-phares de son vestiaire. Des pièces nobles, travaillées pour valoriser le mouvement et respecter la liberté de bouger.

Sarah Diouf crée son identité visuelle autour d’imprimés en noir et blanc reproduisant la flore ou des motifs de l’iconographie africaine classique. Inspiré par les clichés des « pères de la photographie africaine » – les deux portraitistes maliens Malick Sidibé (1936-2016) et Seydou Keïta (1923-2001) –, ce graphisme devient rapidement l’ADN de Tongoro, un nom qui signifie « étoile » en sango, langue de la République centrafricaine. Depuis peu, à la demande de ses clientes, Sarah Diouf a élargi la gamme chromatique de ses créations et la panoplie des pièces qu’elle crée. Aux couleurs venues varier ses étoffes de base, elle ajoute aussi des bijoux de tête et des boucles d’oreilles démesurées aux contours très stylisés, capables de souligner une coiffure et de rehausser un port de tête. « Le brassage culturel dans lequel j’ai grandi infuse dans ma marque », observe la designer, qui aime souligner dans ses tenues « la présence d’une subtile poésie sénégalaise des volumes ».

Le défi de produire localement

Avec Tongoro, elle veut donner forme à de beaux vêtements, aux finitions soignées, qu’elle imagine portés aussi bien sur son continent qu’en Amérique, en Europe ou au Moyen-Orient. D’ailleurs, pour l’heure, celle qui communique en anglais – par souci d’efficacité – fait 60 % de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, avant le Royaume-Uni et la France. Sur le continent, l’Afrique du Sud, où la marque doit s’étendre prochainement, et le Nigeria sont ses principaux marchés, bien avant le Sénégal, en croissance lente.

Pour être disponible partout, Sarah Diouf a mis à profit ses compétences en marketing et bâti son business model sur le numérique : toutes les créations de Tongoro sont vendues uniquement sur le site Internet de la marque. « Pourquoi se limiter à des boutiques physiques ? », interroge-t-elle, alors qu’avec une présence en ligne on peut toucher un plus large public d’acheteurs, et cela, sur tous les continents. Depuis 2022, Tongoro est aussi distribué sur le site de vente d’articles de luxe Net-à-porter, une plate-forme qui lui a apporté une nouvelle clientèle, basée au Moyen-Orient. La collaboration, qui aurait dû commencer en 2020, a été reportée de deux ans en raison de la pandémie de Covid-19 mais aussi de l’impossibilité pour la marque de produire deux collections de 1 000 pièces par an.

Elargir la production reste un défi au Sénégal. Comme d’autres créateurs du pays, Sarah Diouf a dû former ses tailleurs, en patronage notamment. Pour gagner en autonomie et augmenter la production à 500 pièces par mois, elle projette de monter une unité de confection plus grande au Sénégal. En attendant, elle est en train de nouer un partenariat avec une entreprise textile, employant déjà une centaine de tailleurs, basée aussi au Sénégal. « A cause d’un manque de formalisation du secteur, il n’y a pas d’industrie de la mode ici, mais plutôt un écosystème auquel il faut s’adapter », déplore-t-elle, désolée de ce potentiel inexploité. Pourtant, Sarah Diouf ne veut pas baisser les bras et espère que son parcours inspirera d’autres créateurs.

La Rédaction

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