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L’artiste Xoulli lance un cri du cœur à travers ses tableaux en lien avec la migration

Originaire de Nioro du Rip, fils d’un ancien professeur d’histoire, de géographie et de français du nom de Abdoulaye Ndao et d’une mère ménagère, Mamadou Ndao, son nom à l’Etat civil et «Xoulli» de son nom d’artiste, s’est habitué à la vie suisse.

C’est un artiste peintre sénégalais, auteur, vidéaste et photographe établi à Berne (Suisse) depuis 2005. Il s’inspire de l’homme, qui est au centre de sa créativité artistique. Il nous reçoit chez lui, dans le quartier de Brunnmattstrasse. De teint noir, avec la démarche nonchalante, «Xoulli» dresse soigneusement ses dreadlocks qui tiennent sur une tête ronde. En vrai disciple de Baye Niasse, son chapelet est fièrement suspendu autour de son cou et un autre au niveau de son poignet droit. Dans sa demeure, on est accueilli d’abord dans le salon, ensuite on se rend au balcon pour les besoins de l’entretien. Des plantes à fleurs environnent l’endroit sous cette matinée de pluie et dégage une senteur aromatique qui embaume l’air.

Des œuvres d’art sont disposées de part et d’autre du salon, en même temps qu’elles servent de décor et donnent une vue agréable. On est bien dans la demeure d’un artiste où tout est art et chaque objet tient à l’endroit. Pour ce dernier, la vie est une imagination infinie, et le monde, un tableau. «Xoulli» est le nom qu’il s’est donné en tant qu’artiste. Parce que, dit-il, «tout est une façon de voir». Lorsqu’il parle de façon de voir, cela prend un autre sens. «Il faut voir et savoir distinguer. Ce qui nous renvoie aux attributions divines de l’homme», argue-t-il. Marié et papa de plusieurs enfants, il parle d’entendre et d’entendement, de sentir et de sentiment.

A cet effet, il dira que «l’homme doit avoir le sentiment qui accompagne. Et cela mène à la certitude». Pour ce dernier qui place le spirituel au cœur de son art, «Xoulli» voudrait dire «regarder», «voir» et «savoir distinguer». Il définit l’artiste comme quelqu’un qui a une mission à accomplir. Il n’est pas non plus de ceux qui pensent que le milieu détermine l’homme. Je crois, dit-il, que «l’homme doit déterminer son milieu et se l’approprier». Comme artiste-peintre, il façonne des tableaux avec le marc de café, des papiers de journaux ou encore des habits inutilisés. Ce, pour contribuer à la préservation de l’environnement. C’est un peintre écolo. Il répond à quelques questions.

Depuis quand êtes-vous installé en Suisse ?

Je suis en terre suisse depuis 2005. Rien ne m’a poussé à quitter le Sénégal pour m’établir en Suisse. Mieux, je ne faisais pas partie de ces jeunes qui ont toujours voulu quitter le pays pour aller ailleurs. Cela n’a jamais été mon rêve. J’étais quelqu’un de très modeste, qui se limitait à ce qu’il avait et n’enviait personne. Dieu a fait aussi qu’on avait de quoi vivre chez nous et on se contentait de vivre avec nos moyens, ni plus ni moins. Pour moi, l’essentiel était d’avoir ma famille, avoir où dormir, de quoi manger, boire, se soigner. Ma venue en Suisse a été provoquée par les liens du mariage, à l’issue de ma rencontre avec une femme suisse au Sénégal. J’ai connu cette femme après une exposition que j’avais faite en 2001 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, pour les étudiants ressortissants de Nguékhokh. La coïncidence est qu’elle dessinait des œuvres et que moi, j’avais déjà réalisé un tableau identique. La seule différence était au niveau des couleurs utilisées. Sur ces dessins, il y avait une femme blanche debout, entre les bras d’une personne noire qui la tenait. J’avais la même toile. Lorsqu’elle a vu la toile, elle ne pouvait s’empêcher de verser des larmes. C’est ce qui nous a liés. Jusqu’à ce que je me retrouve ici en Suisse. Je précise aussi qu’après notre mariage, je suis resté au pays pendant plusieurs années où je gérais mon salon de coiffure. J’étais coiffeur à l’époque. C’est seulement quelques années après qu’on a décidé ensemble que je vienne la rejoindre. Ce n’était pas quelque chose de programmé. Quand j’y repense parfois, même moi je m’étonne.

Vous nourrissez l’espoir de retourner un jour au pays ?

Bah, c’est une évidence que j’ai un projet de retour. Seulement, je ne l’inscris pas dans le même registre que certains ou tout au plus retourner pour dire que je vais rester au pays. Je ne peux plus rester au Sénégal ni en Suisse. Ce que je veux dire par là, c’est que je n’appartiens à personne. Je tiens une famille ici, tout comme j’en ai une autre au Sénégal où j’ai ma maman, mes frères, mes sœurs. J’ai toute ma famille là-bas. Aujourd’hui, je ne peux pas tourner le dos à tout ce monde, en plus des amis, de ma religion, ma confrérie, etc. Les vrais projets que j’ai ne sont pas que pour la Suisse. La plupart, ce sont des projets que j’ai pour mon pays, le Sénégal. Il y a plus de besoins là-bas qu’ici.

Quel est votre style et genre de peinture ?

Si je dois parler de style, je ne vais pas prendre une étiquette pour coller à mes œuvres artistiques. Comme tu as pu t’en rendre compte de tes propres yeux, il y a sur certaines de mes toiles de l’abstrait, des portraits pour d’autres. Je ne me fixe pas de limites dans mon imagination créative. Je ne crois pas et je ne suis pas de ceux qui croient à un style particulier. Je crois plutôt à la capacité créative de l’artiste, et qui peint selon ses inspirations. Maintenant, je peux bien travailler un tableau et que quelqu’un vienne me demander, c’est quel genre ? Je te dirais si c’est du cubisme, du fauvisme, un portrait, etc. Je ne connais pas de limites dans ma créativité artistique.

Quelles sont les thématiques que vous abordez dans vos peintures ?

Mes créations parlent de la vie en général. Lorsque je parle de la vie, vous me direz que c’est large. Mais, j’aborde l’échange, les valeurs qui font l’homme, la vie. Tout ce qui touche au bon comportement, j’aime le transmettre dans mes tableaux en forme de couleurs ou de signes. J’interpelle directement sur ce qui fait l’homme. C’est ce qui m’inspire. Lorsque sur une de mes toiles par exemple, vous voyez plusieurs personnes, c’est pour symboliser le vivre en communauté. On m’a éduqué dans ça et au Sénégal, cela fait partie de nos valeurs : la vie en communauté.

Quelle est la matière que vous utilisez pour réaliser vos toiles ?

La matière que j’utilise le plus dans mes créations artistiques, c’est le marc de café. Au lieu de jeter le résidu de l’infusion de café, je le réutilise autrement, en le recyclant pour mes toiles. Il y a une belle expression que j’aime et que souvent utilisait Ndary Lô : «L’artiste prend de la boue pour en faire de l’or.» L’artiste est quelqu’un qui est capable de faire des merveilles avec des éléments qu’on croyait être bons à mettre à la poubelle. Et, c’est ça la vie. Car tout se transforme. Il faut juste le comprendre et savoir comment s’y prendre. Sinon rien ne se perd. En plus du marc de café, je travaille également avec les coupures de journaux. Le constat est qu’il y a beaucoup de déchets dans le monde et cela ne manque pas de conséquences dans nos vies. Alors, c’est ma modeste contribution pour la préservation de l’environnement. J’utilise aussi des tissus ou même parfois mes propres habits au lieu de les mettre à la poubelle. Je les fais revivre d’une autre manière par la magie de la peinture.

D’où vous vient votre inspiration ?

C’est la personne qui m’inspire. L’individu, qu’il soit positif ou négatif, tout part de l’homme. L’homme est le centre de l’univers et tout s’identifie à lui, à ce qu’il en fait. Dans la forêt, si tu t’y rends et que tu trouves des ordures, c’est parce que l’homme les a amenées là-bas. Idem pour le plastique, les tessons de bouteilles, etc. S’il y a une bonne intégration, c’est l’homme. Lorsqu’Il a créé l’homme, Dieu a éduqué tout ce qui l’environne. L’eau, par exemple, c’est l’homme qui l’a domptée. L’eau peut tomber et avoir un impact néfaste sur la vie de l’homme. C’est l’homme qui crée les conditions pour canaliser l’eau afin d’éviter ou de minimiser les dégâts qu’elle aurait pu engendrer. C’est la même chose avec les animaux que les hommes parviennent à domestiquer.
Mon propos est teinté de spirituel parce que la religion occupe une place importante en moi, pour ne pas dire qu’elle est au cœur de mes actions, même créatives. On est dans un monde où lorsqu’on parle de religion, certaines personnes essaient de stigmatiser. Mais, pour ma part, la religion, c’est un message de paix et d’amour. Il n’y a rien de négatif dans ça. Ce que je vis dans la religion, c’est la paix, l’entraide, la joie, l’amour, le respect de soi et celui de l’autre. En réalité, il faut savoir qu’il n’y a pas deux, il n’y a qu’un. Quelqu’un qui ne voit pas deux ne peut voir quelque chose de négatif chez l’autre. N’empêche, celui qui regarde et se voit, ce qui est une gêne en lui, il doit s’efforcer de l’enlever. L’homme a juste besoin d’être en face de lui et de se remettre en question tout le temps et en tout lieu. Toute personne a besoin de ça un tant soit peu pour ne pas perdre ses repères.

Qu’est-ce qui justifie le fait que «Xoulli» ne signe pas ses tableaux ?

Je ne signe pas mes toiles tout simplement parce que je considère que la toile correspond à la vie. Et, lorsqu’on parle de la vie, l’on se rend compte qu’elle est large. Prendre donc une toile et la mettre sur un cadre et signer, pour moi, c’est restreindre le spectre de ma créativité. Sachant qu’une œuvre n’est jamais totalement achevée. Il y a toujours quelque chose à faire. Ma vision est plus large que la circonférence du cadre de la toile. Pour moi, l’instant où je signe ma toile spirituellement, c’est le moment où je fais l’échange avec quelqu’un qui parvient à savoir la vision que j’ai par rapport à ce que je fais. Cette signature-là ne s’oublie pas, et rien ni personne ne peut l’enlever.

Parmi vos tableaux, il y en a certains qui évoquent l’émigration irrégulière. Qu’est-ce qui vous a motivé à peindre sur ce sujet aussi sensible et préoccupant ?

Très sincèrement, je vous remercie pour cette question. L’émigration est un phénomène qui me touche beaucoup et auquel je suis très sensible. J’ai des amis qui en ont fait l’expérience. Ils m’ont raconté ce qu’ils ont vécu et par où ils ont dû passer pour arriver là où ils en sont. Lorsque je regarde aussi ce qui se passe par rapport à nous qui sommes là, sachant ce qui se passe ici, comment on y vit, ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas, et la perception que les gens ont de la vie en Europe, une vision erronée, cela ne peut que nous toucher. Ceux qui sont déjà venus savent de quoi je parle. Ce n’est pas du tout facile la vie en Europe. C’est un cri d’indignation que je traduis à travers ces tableaux. Lorsque je vois toutes ces âmes qui se perdent en mer parce que tout simplement elles ont choisi le chemin de la mort, à défaut de pouvoir avoir ne serait-ce que le minimum pour survivre chez eux, cela me fend le cœur. Je ne dis pas qu’on doit tout leur donner, mais il y a au moins un minimum que les Etats africains notamment doivent garantir à leurs ressortissants afin de les prévenir des chemins funestes de la migration irrégulière. Tout ceci m’amène à pousser ma réflexion jusqu’au fin fond du désespoir pour essayer de comprendre les motivations de ces derniers à braver l’Océan atlantique. Sachant que je ne peux rien faire, ni les aider ni les encourager sur ce chemin, je ne peux que peindre pour exprimer mon ressentiment, traduire le désespoir de ces âmes perdues ou englouties dans les eaux. Cependant, il n’est pas de mon ressort de dire aux jeunes d’aller ou de ne pas aller. Je leur demande juste de bien prendre le temps, d’y réfléchir, avant de s’adonner à ce genre de voyage. Avant tout, on est des humains. En tant qu’humain doué d’intelligence, il y a des choses qu’on ne peut pas s’aventurer à faire. Tout le temps que je suis resté au Sénégal, à chaque fois, des amis venaient me parler de voyage. J’ai défendu que je ne voyagerais jamais sans avoir des papiers légaux, et dans des conditions dignes et décentes. Je sais par ailleurs que ce n’est pas de leur bon vouloir. Parce qu’il y a des gens dignes au Sénégal. Mais, ils ont besoin d’aide et d’être accompagnés. Ce qui est loin d’être le cas.
L’Etat du Sénégal doit faire des efforts. La situation qu’on vit au Sénégal n’est pas normale. Cela mérite une attention toute particulière de la part de l’Etat. L’exemple de la Libye, on n’en parle pas, mais c’est un sujet qui devrait intéresser nos dirigeants africains, et sénégalais en particulier. Il y a combien de personnes détenues et victimes de traite dans ce pays. Personne n’en fait son affaire. Ce n’est pas normal. Il y a tellement de problèmes au Sénégal que des fois, on a du mal à se situer. Ce que je crois, c’est que rien ne va au Sénégal. Un pays qui marche ne fonctionne pas comme le nôtre. Le transport est un véritable casse-tête, l’alimentation, n’en parlons pas. Les denrées sont hors de portée, l’eau et l’électricité, tout a pris l’ascenseur. Imaginez-vous, ne serait-ce que le kilogramme de poisson fumé, il coûte 1500 F Cfa au Sénégal. Je ne compare pas les années. Mais, j’ai eu à faire le commerce de poisson fumé à l’époque. J’en achetais à Mbour pour l’amener au Saloum, et au Saloum, je prenais d’autres produits pour les ramener à Mbour. A l’époque, le kilogramme était à 75 F Cfa. Cette augmentation du prix est tout simplement extraordinaire sachant que les poissons proviennent de chez nous. Aujourd’hui, le riz au poisson fumé est plus cher que le riz au poisson. Alors que c’était l’inverse. Toutes les personnes qui ont été élues, nommées à un poste, ont des responsabilités par rapport aux populations pour lesquelles elles délivrent un service.

Quels sont vos projets, notamment pour le Sénégal ?

En ma qualité d’acteur culturel, j’ai plein d’idées de projets que je souhaiterais mettre à la disposition de mon pays. Notamment à ses jeunes. Pour prévenir les jeunes et les préparer pour le futur, je reste convaincu qu’on doit investir pour une bonne éducation de base, culturellement, socialement et même politiquement. Cela est très important dans le façonnement de la personne. La culture est pour moi le meilleur moyen de façonner une personne. C’est elle qui permet de savoir qui on est, d’où l’on vient, se respecter et respecter autrui. Lorsqu’on parle de culture, il ne s’agit pas de leur apprendre qui est Mozart Beethoven. Il s’agit plutôt de leur faire connaître Doudou Ndiaye Coumba Rose, Vieux sing sing Faye, Yandé Codou Sène, Pape Niang, Ndiaga Mbaye, et j’en passe. Aujourd’hui, tu mettrais un Ndiaga Mbaye avec Alicia Keys, il va faire feu. Je ne comprends donc pas comment on peut travestir notre éducation musicale dans nos propres écoles au Sénégal. Même si ce n’est pas dans sa grande majorité. On a notre propre do ré mi fa sol la si. J’ai un ami sénégalais percussionniste qui accompagne en Angleterre, Sting de The Police dans ses tournées. Pourtant, il n’y a pas une note de musique qu’il sache lire. Il y’en a comme lui des exemples à foison. C’est ça l’Afrique. Certaines choses relèvent du domaine de la complexité. La flute que tu entends ici, il y a le Peul qui est au Sénégal qui le fait. Le balafon d’Afrique est le xylophone ici, notre xalam est la guitare, etc. On doit travailler pour créer le déclic, sachant qu’on a une richesse culturelle inestimable. Mon rêve est à chaque fois que je suis au Sénégal, d’organiser des festivals culturels pour montrer notre riche patrimoine culturel. Permettre également aux jeunes et adolescents d’avoir un cadre pour faire des ateliers de formation et se connecter à leur culture. Il ne s’agit pas non plus de mettre en avant l’aspect financier, c’est le moins important. D’ailleurs, j’en profite pour dire chapeau bas à des personnes comme Malal Almamy Talla (Fou Malade) qui fait un travail formidable avec G-hip-hop. Il abat un travail monumental et malheureusement, les gens ne se rendent même pas compte de l’impact que son travail a sur les jeunes et le développement des cultures urbaines au Sénégal.

La Rédaction

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