Enfant, Djibril Gueye Marvin, Djibou comme on le surnomme à Bangui, rêvait déjà d’être maquilleur, mais en secret dans cette Centrafrique affligée par la misère et la guerre, où ce métier est considéré « pour les filles ».
Aujourd’hui, son petit salon de beauté est pris d’assaut chaque jour et sa chaîne TikTok attire plus de 36.000 followers.
Si tout semble sourire à cet esthète de 23 ans, qui se revendique « artiste maquilleur », il a parcouru un chemin semé d’embuches pour vivre sa passion.
Et en vivre, dans le deuxième pays le moins développé au monde selon l’ONU et toujours en proie à une rébellion et des violences quotidiennes.
Ce jour-là, Djibou achève le maquillage d’une jeune femme mais son salon est vite saturé de Banguissoises qui veulent passer sous ses pinceaux.
L’électricité vient de couper. Comme plusieurs fois par jour à Bangui. Les pales du ventilateur se figent et les spots s’éteignent. Alors il déplace sa cliente face à l’entrée pour la lumière du jour, dans une chaleur accablante.
« Je fais avec les moyens du bord, mais je réussis toujours », lâche-t-il en lissant le teint de la jeune femme. « C’est le meilleur », approuve-t-elle en bougeant à peine les lèvres.
Pour un maquillage, c’est « un minimum de 10.000 francs CFA » (15 euros), « ce n’est pas à la portée de tous », reconnaît Djibou. Le salaire minimum légal mensuel en Centrafrique est de 29.000 FCFA (44 euros).
« Il n’y a pas d’école de maquillage à Bangui, sans les tutoriels de YouTube, je n’en serais pas là », soupire l’artiste.
Pour s’approvisionner en pinceaux, fonds de teint et ombres à paupières, « même combat »: « je fais venir mon matériel de France ou du Nigeria, un bon travail ne se fait pas sans bons produits ». Préjugés
Enfant, il adorait l’idée de voir « les gens transformés, beaux et chics ». Rien ne l’arrêtera, pas même la guerre civile de 2013 qui met Bangui et les campagnes à feu et à sang. Djibou a 13 ans alors.
« Un jour, nous avons failli nous faire tuer par un rebelle en allant à l’école avec mon petit frère et ma petite sœur, alors on a tous fui, avec ma famille, au Cameroun », se souvient-il. Le jeune maquilleur a également dû affronter les préjugés et la stigmatisation, s’entendre des milliers de fois dire: « c’est un métier pour les filles ». Mais cela n’a pas réfréné son envie.
Enfant, il cachait son maquillage chez ses amies. « Si mes parents le trouvaient, ils le détruisaient mais j’en achetais constamment ». « Il a fallu que j’étudie en licence de commerce international et que je fasse mes preuves de maquilleur pour qu’ils acceptent mon métier », confie un Djibou désormais apaisé.
En dépit de sa popularité, évidente lorsqu’il se balade dans Bangui, il essuie encore les critiques, « mais je sais qu’ils sont un peu jaloux », sourit-il.
Véritable influenceur dans son pays, il partage ses maquillages, ses inspirations et des mises en scène de son quotidien sur sa chaîne TikTok.
Le visage enduit d’un bleu cyan saupoudré de paillettes dorées, Djibou prend la pose pour une démonstration de maquillage artistique dans un studio photo délabré de la capitale. Il expose ainsi son savoir-faire. « Pour mes fans », souligne-t-il.
« J’ai souvent besoin de faire le point et de prier, c’est ma méditation », confesse aussi l’artiste assis par terre adossé à son lit.
Dans sa modeste chambre, qu’il partage avec l’une de ses sœurs, une statue de la vierge, une bible et un chapelet trônent au milieu de cosmétiques sur sa table de nuit.
« J’ai envie d’aller dans une école de maquillage à l’étranger mais je n’ai pas les moyens », finit-il.
La Rédaction