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Thierno Mamou, étoile montante de l’humour guinéen

Remarqué au Parlement du rire, le jeune humoriste n’hésite pas à imiter les hommes politiques. Ni à les égratigner.

Il a « l’humour dans le sang » depuis sa naissance, il y a 30 ans à Macenta (sud-est du pays), où, élève, il faisait déjà bien rire en classe. Mais Thierno Mamadou Barry à l’état-civil ne s’est révélé aux Guinéens qu’après avoir remporté le prix Sow Bailo de l’édition 2018 du Festival des arts et du rire (FAR) de Labé, organisé depuis 2015 par Sudu Dardja production de l’humoriste Mamadou Thug.

Chaque édition du FAR, dans le nord de la Guinée, est l’occasion d’inviter une vedette africaine de l’humour pour un partage d’expérience avec les jeunes pousses locales. S’y sont relayés le duo Zongo et Tao, Le Magnific, Dao, Boukary, tous venus de Côte d’Ivoire… En 2018, c’est le célèbre humoriste ivoirien Michel Gohou qui avait fait le voyage et présidé le jury devant désigner le vainqueur de la compétition, organisée à l’occasion.

Le prix de l’humour Sow Bailo, du nom de ce doyen de l’humour guinéen parti à la retraite l’année dernière après 60 ans de carrière, comprenait une récompense en bonus : quiconque l’emporterait serait invité au Parlement du rire d’Abidjan, organisé par Mamane, avait promis l’honorable Gohou, un des puissants parlementaires du Gondwana. Après délibération, Thierno Mamou fut l’heureux élu.

Imiter les hommes politiques

En 2019, le jeune humoriste fait donc son apparition à Abidjan, avec un sketch intitulé « Le discours ». « Pour être sélectionné, vous devez proposer quatre textes sur la base desquels vous serez choisi. C’est un travail de dur labeur, même si c’est très motivant. Sur place, au Parlement du rire, j’ai pu découvrir des humoristes d’autres pays », explique-t-il aujourd’hui. Dans Le discours, Thierno Mamou parle d’Alpha Condé et de son très controversé changement constitutionnel pour un troisième mandat, qui lui valut d’être renversé par coup d’État militaire le 5 septembre 2021.

« Quand il y a élection au Gondwana, les candidats promettent de faire un mandat de cinq ans. Mais ici, cinq est égal à dix. Il faut goûter au miel pour savoir que c’est doux. Il ne veut pas partir, il faut forcément s’adresser au peuple », commence-t-il avant de sortir d’une de ses poches le fameux discours. Une sorte de lettre de motivation dans laquelle le « président-fondateur » justifie l’impératif d’être candidat à nouveau. « Lorsque ce pays a eu besoin de moi pour le diriger, on m’a frappé, insulté et même contraint à l’exil devant vous tous. Personne n’a dit mot. Aujourd’hui, je suis au pouvoir. Je sais que la promesse est une dette, mais j’ai promis quoi ? » Ovations et rires.

En 2020, lors d’un autre rendez-vous annuel, Le match du rire, à Conakry, organisé par Nord-Sud communication du journaliste Alhassane Souaré, l’humoriste élargit ses piques à tous les anciens présidents de la Guinée, élus ou parvenus au pouvoir grâce aux armes. Il sait de quoi il parle, pour avoir « vécu tous les régimes ».

Il évoque l’histoire de ce blanc irrité par les bouchons de Conakry qui s’en est pris, par mégarde et ignorant que la Guinée était indépendante, à une voiture dans la rue. Sauf qu’il découvre derrière le volant « un bonnet et boubou blancs, une dentition blanche et un visage sombre ». Portrait-robot de l’auteur du « non » au général de Gaulle et premier président du nouvel État indépendant : Ahmed Sékou Touré. L’impénitent se ramollit et entonne Mandjou, la célèbre chanson de Salif Keita magnifiant la famille Touré.

« Mais mon ami pourquoi tu chantes ?», ne peut s’empêcher de questionner le conducteur peu ordinaire. « Monsieur le président, je chante sachant que le camp Boiro m’attend », répond-il, faisant allusion à ce camp où périrent 50 000 opposants réels ou supposés du chef suprême de la Révolution qui dirigea la Guinée de 1958 à 1984. Son successeur Lansana Conté, le bouillonnant capitaine Moussa Dadis Camara et son intérimaire Sékouba Konaté… Tous en prennent pour leur grade durant la prestation de l’humoriste qui se distingue par son talent pour imiter la voix de ses cibles.

Parodier des tubes célèbres

Thierno Mamou s’est d’ailleurs aussi fait connaître en parodiant la chanson « Buga » (reprise en langue nationale peule) du Nigérian Kizz Daniel. Un sketch qu’il a joué avec Rigel Gandhi, un autre humoriste guinéen. Le clip, tourné dans un maquis, oppose le premier qui joue le rôle de l’ivrogne qui boit sans payer au second, le gérant prêt à en découdre pour recouvrer son dû. Dans cette situation potentiellement explosive s’interpose un garde du corps de la taille de Grand P : Ibrahima Diallo, alias Monsieur Satina. Cet humoriste en herbe de 26 ans qu’on prendrait pour un bébé, diplômé en sociologie de l’université guinéenne comme Thierno Mamou, bouscule son handicap pour se frayer un chemin. Avec le jeune slameur albinos l’Alpha, ils tiennent le public de Labé en haleine aux côtés de l’Ivoirien Boukary.

Enfin, Thierno Mamou n’a pas son pareil pour tourner en dérision le phénomène « Dubaï porta potty », qui a ébranlé la toile l’année dernière, racontant à sa manière ce scandale sur des stars qui se prostitueraient aux Émirats arabes unis. Il reprend cette fois Je suis désolé de Black M. « Ma chérie, je suis désolé. Tu aimes trop l’argent facile. Au lieu de travailler, tu préfères aller à Dubaï. À Dubaï, tu manges caca. À Dubaï, tu bois pipi. Et tu viens nous dire que tu es femme battante. Tu nous fais du mal.»

La rébellion de 2000 a poussé les parents de Thierno Mamou à regagner Mamou, leur ville d’origine, où le jeune collégien a poursuivi sa passion. Mais c’est son intégration au Centre d’écoute, de conseils et d’orientation pour jeunes (Cecoje, structure publique créée au niveau de la plupart des maisons de jeunes du pays) de la cité qui a constitué « un tournant décisif » pour le décollage de sa carrière. « En 2010, on a remporté le premier prix théâtre du Festival national des arts et de la culture (Fenac). J’ai toujours été chef de classe dans les écoles où je suis passé. En l’absence de prof, je prends le relai pour faire rire. ». Désormais, la star des classes voudrait hisser l’humour guinéen sur la scène internationale.

La  Rédaction

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