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Pour la cheffe Meryam Cherkaoui les Marocains devraient avoir plus de place dans le consulting

Elle a dû son renom à sa qualité d’ambassadrice de la cuisine marocaine. Meryam Cherkaoui qui a sillonné les quatre coins du monde pour développer sa propre signature est devenue au fil du temps une référence pour les compétences émergentes de la cuisine et de l’hôtellerie. Elle répond aux questions.

La cheffe Meryam, à renommée internationale, s’apprête à lancer en fin d’année un restaurant qui a la particularité d’être exclusivement géré par des femmes. Dans cette interview, elle s’est confiée sur les mille recettes de l’art de l’hôtellerie et de la restauration.

Vous allez lancer en décembre prochain votre restaurant 100% féminin à Marseille. Pourquoi avez-vous opté pour un concept culinaire entièrement féminin ?

A la différence d’autres pays ou d’autres villes où il y plus la diversité de genre, j’ai constaté qu’à Marseille, beaucoup de femmes font de la cuisine ou tout simplement expriment une vocation pour l’art culinaire sans pour autant avoir l’opportunité d’intégrer le monde du travail.

Comme j’avais l’habitude de travailler avec des femmes dans des coopératives, j’ai trouvé qu’elles ont forcément une autre manière d’aborder le métier. Une femme ne fait pas forcément une cuisine féminine.

Ainsi, ce projet est né de ma forte conviction selon laquelle même si les métiers de la cuisine s’apprennent forcément pour donner accès au monde professionnel, il y a des personnes qui peuvent tout simplement avoir une vocation et être autodidacte pour l’apprendre facilement.

J’estime aussi que des fois, c’est mieux d’aider ces personnes à acquérir les techniques nécessaires, car elles ont l’amour pour ce métier. C’est la clé pour réussir dans n’importe quel métier dans le monde, particulièrement la cuisine.
Sincèrement, je n’ai pas encore constitué toute l’équipe, mais ce que je peux vous dire c’est que je cherche des femmes du métier mais aussi des femmes qui cherchent à l’apprendre. C’est pour cela, en fait, qu’on aura 50% de l’équipe en insertion. Ce ne sont pas des gens qui sont forcément passés par la prison mais des personnes qui ont tout simplement une vocation.

Ce projet constituera également une réelle opportunité pour les Marocains du Monde. Dans le restaurant, nous allons y faire de la cuisine méditerranéenne, chose qui nous parle tous, quel que soit notre nationalité ou notre pays d’origine.

Vous avez fait le travail de consulting beaucoup plus à l’étranger qu’au Maroc. S’agit-il d’un choix ou d’une obligation ?

Sincèrement, le développement du secteur de la cuisine et de l’hôtellerie à l’étranger a donné naissance à une forte demande en consulting. Par contre, au Maroc ce n’était pas le cas.

Je suis d’une formation française et j’ai suivi davantage ce qui se faisait à l’international. Au début, quand j’ai commencé à faire ma signature, la cuisine marocaine contemporaine, j’étais mal comprise par plusieurs acteurs du secteur. Ces deniers avaient, en effet, l’ultime conviction que la cuisine marocaine est une culture de transmission de mère en fille qui ne devrait subir aucune modification.
C’est ce qui explique ma direction vers l’étranger. J’étais convaincue que je serai mieux comprise ailleurs car, justement, la cuisine a d’autres codes à l’étranger. Aujourd’hui, ceci a bien évolué au Maroc surtout suite à son ouverture sur d’autres cuisines.

Mais souvent, le problème qui persiste c’est qu’au Maroc, les acteurs de la cuisine et de l’hôtellerie font plus appel à des consultants étrangers. C’est malheureux, quand même.

Je me suis dit qu’ils n’ont pas d’intérêt à travailler avec des chefs marocains, chose que j’ai toujours revendiquée car tout simplement j’ai une fierté de mon pays, de sa gastronomie et surtout de ses compétences.

Vous qui avez un œil sur le développement de l’art culinaire au Maroc et dans le monde, qu’est-ce qui nous manque aujourd’hui dans notre contexte actuel ?

C’est surtout de comprendre les compétences dont dispose notre pays. Nous avons énormément de talents qui, par manque d’intérêt de notre part, partent à la recherche de meilleures opportunités ailleurs, notamment au Canada où le besoin est énorme.

Aujourd’hui, nous avons les infrastructures qu’il faut. Il ne nous manque que le fait que nos patrons réalisent l’importance des compétences dont on dispose et réagissent en mettant à leur disposition les moyens nécessaires pour donner le maximum d’elles-mêmes.

Il faut également développer une formation de qualité, sachant que ce point n’est pas un problème propre Maroc. Le secteur hôtellerie-restauration n’échappe pas à ce besoin qui se ressent dans plusieurs pays.

Ceci dit, il faut sensibiliser les hôtels à l’importance de développer une formation de qualité en interne et investir dans leurs équipes en vue de développer leur savoir-faire.

Plusieurs observateurs font remarquer que le secteur est en manque de chefs cuisiniers. Partagez-vous ce constat ?

C’est la priorité d’aujourd’hui au vu du contexte actuel. Si on ne mise pas sur l’humain et la qualité des ressources humaines nécessaires pour le développement d’une nouvelle génération de projets, nous n’allons jamais atteindre les objectifs escomptés.

Dans le même sens, il faut motiver les compétences marocaines par l’investissement dans la cuisine marocaine. Nous avons remarqué que plusieurs franchises s’installent au Maroc, chose qui est avantageuse pour la compétitivité dans le secteur. Mais ceci se fait généralement au détriment des restaurants qui revendiquent une vraie cuisine marocaine, traditionnelle ou évolutive. Un petit tour à Casablanca ou à Marrakech suffit pour remarquer cette tendance. Résultat, le secteur de l’hôtellerie et de la cuisine marocaine perd les talents qui lui faut.

Quel regard portez-vous sur l’employabilité des compétences résidant à l’étranger ?

Les compétences marocaines s’adaptent facilement. C’est la force qui distingue les marocains, le fait de pouvoir faire son travail de la manière la plus efficace possible. C’est en tout cas ce qu’est recherché dans les quatre coins du monde.

C’est vrai que nous n’avons pas la liberté de partir dans le monde, mais je constate que les Marocains expriment toujours la volonté d’apprendre de nouvelles choses sur notre métier qui est, d’ailleurs, en pleine évolution.

Les autres sont très exigeants, alors que les Marocains sont curieux d’avoir un œil sur les dernières tendances à l’étranger. Ils cherchent à partir à l’étranger pour avoir une nouvelle expérience, mais ce qu’on espère toujours c’est qu’ils reviennent au Maroc pour apporter du plus à leur pays.

Vous avez créé en 2009 une école qui proposait des formations à l’intention des professionnels. Quel bilan en tirez-vous ?

Ce n’était pas une formation continue mais plutôt une formation à la carte qui s’étale sur trois mois. Des professionnels ont été encadrés et accompagnés sur diverses spécialités par des consultants en la matière. Néanmoins, nous avons constaté que les entreprises ont été hésitantes là-dessus. Je pense que les dirigeants avaient peur que leurs chefs apprennent de nouvelles voies et donc partent ailleurs.

Après l’aboutissement de ce projet, j’ai commencé, moi-même, à organiser des formations au profit des chefs-cuisine de restaurants au Maroc, sans pour autant dévoiler mon nom.

L’occasion d’échanger avec eux, de les aider à développer leur savoir-faire, notamment en termes d’organisation. Il s’agit d’une forme d’audit que j’essaie de faire pour améliorer la qualité des prestations, le côté management, soit un travail complet.

Quand un projet est en création, j’essaie d’accompagner l’équipe du business plan jusqu’à l’aboutissement du projet et par la suite former les équipes et faire du suivi, avec la révision de la carte.

Quel regard portez-vous sur l’évolution des Marocains lauréats des émissions culinaires dans le monde ? Et quel dispositif proposez-vous pour tirer profit de leurs compétences ?

Nous avons un phénomène d’immigration auquel nous ne pouvons pas échapper. C’est un flux naturel qui est en cours depuis longtemps. Grâce à ces émissions, nous avons pu mesurer la valeur du métier de chef cuisinier. Ceci dit, ce métier est une vraie vocation porteuse de valeur ajoutée.

Si on veut que ces compétences reviennent au Maroc, il faut les motiver, et les intégrer dans tout le processus de développement du secteur. Cela veut dire forcément donner plus de place aux consultants marocains qui constituent un plus pour notre pays.

La Rédaction

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