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Le Cinéaste Thierno Souleymane Diallo parle de son fim « Au cimetière de la pellicule »

Pour la sortie de son film « Au cimetière de la pellicule », Thierno Souleymane Diallo raconte sa démarche artistique, l’état actuel du cinéma guinéen et les enjeux de la préservation des films.

Comment avez-vous découvert Mouramani ? Avez-vous effectué un cheminement similaire à celui de votre personnage dans le film ?

J’ai fait des études de cinéma en Guinée, cinq années passées à apprendre toutes les histoires du cinéma du monde sans jamais évoquer celle du cinéma guinéen. Ensuite, je suis allé à Niamey, au Niger, pour mon master ; là-bas j’avais un professeur d’histoire du cinéma africain par qui j’ai appris que le premier film d’Afrique francophone noire est Mouramani et non Afrique-sur-Seine, comme on le croit souvent. J’étais donc très étonné que personne ne m’ait jamais parlé de ce film en Guinée. J’ai commencé à le chercher, sur Internet, mais il n’y avait que très peu de traces. Je n’ai trouvé que deux résumés distincts : l’un, français, disait que cela racontait la vie d’Abdouramane Kaba. L’autre, anglais, précisait que cela racontait l’histoire d’un chien et de son maître… Au fil de mes recherches, j’ai aussi rencontré des personnes s’attelant à raconter une histoire classique du cinéma guinéen. Ce sont elles qui m’ont raconté cette anecdote que l’on retrouve dans Au cimetière de la pellicule : on a creusé un trou, on y a mis les bobines puis du carburant, on y a mis le feu et on a recouvert de terre ! C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que c’était une histoire plus violente encore que je l’imaginais. Cela m’a renvoyé à ma propre activité de cinéaste : pourquoi faire des films s’ils ne sont pas vus, ou alors uniquement dans d’autres pays ? Mes parents m’avaient dit que faire une école de cinéma était une perte de temps : peut-être qu’ils avaient raison ? Je pense qu’ils se posaient de vraies questions, parce qu’en Guinée le cinéma a quasiment disparu, et en faire est considéré comme une perte de temps.

Vous partez de ce film perdu pour évoquer un propos plus large, notamment sur les relations entre l’Afrique et l’Europe, la décolonisation… Aviez-vous cela en tête dès le départ ou est-ce venu en tirant sur le fil de Mouramani ?

Dès la phase d’écriture, nous avons senti que Mouramani avait une portée très politique. On ne peut pas dissocier le cinéma de la politique ; toute situation politique a un impact sur le développement des arts, dont le cinéma. Dès le début, nous avions donc cela en tête mais nous ne souhaitions pas le mettre au premier plan. Au premier plan se trouve l’histoire d’un réalisateur qui part à la recherche d’un film perdu. Il voyage et rencontre beaucoup de gens au cours de celui-ci. On y découvre aussi l’histoire de la Guinée sur les six dernières décennies, qui a très peu été racontée. On découvre aussi une histoire de cinéma qui n’est pas propre qu’à la Guinée, mais à tous les pays européens. Pourquoi cela ? Parce qu’avec l’arrivée du numérique, la fréquentation des salles est en baisse, le cinéma tel qu’on le connaît va disparaître. Pourtant, la salle est le cinéma : ce que l’on va perdre, c’est aussi la socialisation, le partage. C’est quelque chose de très fort : regarder un film avec une personne qu’on ne connaît pas, rire en même temps. J’ai eu la chance, en grandissant, de voir des films en salles ; peu importe desquels il s’agissait, il y avait cette magie.

Qu’il s’agisse de sa production ou de sa diffusion, où en est le cinéma guinéen à l’heure actuelle ?

C’est à l’image de ce que je montre dans mon film, voire pire ! Il y a eu ce désengagement de l’État guinéen des problématiques culturelles en 1984, sur les conseils du Fonds monétaire international, pour qui soutenir la culture n’était pas une priorité. Ça n’a fait que continuer depuis, avec la fermeture des salles et la destruction des bobines. Il y a trois salles de cinéma en Guinée : deux qui sont la propriété du groupe Bolloré, la dernière qui est du ressort de la coopération franco-guinéenne. Pour ce qui est de la production, comme je le dis souvent, la Guinée produit presque zéro film par an. Sans même parler de la qualité, on ne produit pas de films qui seront vus ailleurs dans le monde, pour aller vers l’autre et créer une discussion. Les rares productions qui verront le jour viendront des initiatives privées, ceux qui en sont à l’origine vont se couper les cheveux en quatre pour trouver des financements. Il y a quelques mois, il était question de potentielles subventions, de formations et d’un partenariat avec Canal+. Pour autant, c’est triste de le dire, mais le cinéma est mort et enterré en Guinée.

Dans votre cas précis, comment s’est passé le financement du film ? Il s’agit d’une coproduction internationale ?

C’est effectivement une coproduction entre la France, le Sénégal, la Guinée et l’Arabie saoudite, et c’est cette collaboration a permis que le film voie le jour. Je travaillais à l’origine avec Africadoc, une initiative ayant pour but que les Africains se filment et racontent leur histoire. Par le biais de ce réseau, j’ai pu faire un master et effectuer des résidences d’écriture, notamment au Sénégal et au Burkina Faso, au cours desquelles j’ai rencontré des producteurs pour mon film, français et sénégalais. La Guinée et l’Arabie saoudite sont arrivées ensuite.

Avez-vous tourné certaines séquences du film en caméra cachée ? On croit lire l’incrédulité sur certains visages…

Il n’y a pas eu de scènes tournées en caméra cachée : en réalité, Au cimetière de la pellicule est aussi une affirmation de la mise en scène. On a parfois tendance à croire qu’on peut filmer sans prendre en compte la présence de la caméra. Caméra qui est pourtant tenue par une personne, et donc accompagnée par le regard de celle-ci. Quand nous avons commencé à tourner, la cheffe opératrice m’a dit : « Tu marches un peu vite, il faudrait que tu ralentisses pour qu’on puisse te rattraper. » Mais je ne pouvais pas marcher à leur rythme, sinon d’emblée la mise en scène est biaisée ; je ne suis plus moi si j’essaye de faire autre chose. À eux donc de voir s’ils me laissent partir ou s’ils me rattrapent… Il y avait donc cette façon de filmer à la première personne, de partir de soi pour aller vers les autres. On pose aux gens une question, mais que vont-ils nous répondre ? Concernant Mouramani, on leur demandait s’ils l’avaient vu et on savait pertinemment que ce n’était pas le cas. L’idée qui sous-tendait était plutôt de savoir quel était leur rapport au cinéma. J’ignorais qu’en face de moi j’aurais quelqu’un qui avait travaillé en tant que guichetier dans un cinéma ! Au départ, il y avait donc cette liberté, un travail assez conscient qui laissait tout de même une certaine place à la spontanéité.
Même pour la scène qui inclut un carnet – qui est la toute première que nous avons tournée, deux ans avant le début du tournage du film –, c’est la première fois que je voyais ce carnet, que cet homme me le présentait. Même pour les passages qu’il lit, j’ignorais qu’il ferait cela, et que ça constituerait une des scènes du film.

La Rédaction

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