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Idrissa Soumaoro, le transmetteur universel de musique

Au Mali, il fait partie de ces artistes de référence, respecté de tous, même si sa discographie est inversement proportionnelle à la longévité de sa carrière musicale. A 74 ans, Idrissa Soumaoro emploie le présent pour évoquer le passé sur son nouvel album intitulé Diré.

Certains lieux laissent dans la mémoire une empreinte que le temps semble incapable d’effacer. En donnant à son nouvel album le nom de Diré, Idrissa Soumaoro voulait “rendre hommage” à cette ville du nord du Mali située sur le fleuve Niger, à une centaine de kilomètres de Tombouctou, et dont le souvenir continue de susciter en lui les sentiments les plus forts. “Une ville très coquette”, décrit-il, où il obtient en 1970 son premier poste à l’Institut pédagogique d’enseignement général (Ipeg) après sa formation de professeur de musique.

C’est aussi là-bas qu’il rencontre sa future épouse – “on vient de fêter nos cinquante ans de mariage ”, précise-t-il – et que nait sa première fille, entretemps décédée. La nostalgie du septuagénaire est perceptible, quand il évoque cette période, aussi marquante qu’elle fut de courte durée : depuis 1972, il n’y est jamais retourné. “On me dit que la ville n’est pas comme elle était, mais malgré tout j’aimerais bien aller faire un tour là-bas avec ma dame avant de quitter cette terre, si la paix revient”, espère-t-il.

Les instruments traditionnels à l’honneur

Les prémices de ce nouvel album remontent à 2012. Emballé par la proposition d’être produit par son ami français Marc-Antoine Moreau, manager et artisan du succès d’Amadou & Mariam, Idrissa Soumaoro rassemble une dizaine de chansons remisées dans ses nombreux cahiers et cassettes et pousse la porte du studio de Manjul à Bamako pour les enregistrer. “Je craignais de partir en laissant ces œuvres derrière moi”, concède-t-il.

Ses réticences à vouloir défendre son répertoire sur scène freinent l’aboutissement du projet. La disparition de son producteur en 2017, victime du paludisme, aurait pu le condamner définitivement. Mais à la faveur des confinements durant la pandémie de Covid-19, Yao Dembele reprend l’ouvrage sur lequel il avait joué des basses lors des toutes premières sessions.

Dans son studio parisien, le musicien qui collabore depuis plus de deux décennies avec Amadou & Mariam a ajouté des éléments avec son complice du Climax Orchestra, Yvo Abadi, tout en respectant l’idée initiale de “favoriser les instruments traditionnels”. Comme d’autres de sa génération, Idrissa Soumaoro fait le constat que leur pratique tend à disparaitre aujourd’hui, car “les jeunes artistes se contentent de prendre les sons qui sont déjà dans les machines”, regrette-t-il. Sur l’album figurent donc de la flûte, du balafon, des percussions et différents n’goni dont le kamele n’goni, descendant du donso n’goni des chasseurs. “C’est un instrument pentatonique de la région du Wassoulou. Mes parents venaient de là-bas, comme Oumou Sangaré. Nos ancêtres ont coupé les arbres d’un même village, comme on dit chez nous !”, précise-t-il.

L’influence de ce cordophone présent en Afrique de l’Ouest depuis le XIIe siècle est déterminante sur lui au moment où, enfant, il se saisit de la guitare sèche de son oncle, chez qui il vit à Ouéléssébougou. “J’ai commencé à tâtonner et naturellement j’ai cherché les notes du kamele n’goni sur une guitare qui n’était même pas bien accordée. Ce qui a donné naissance à ma première chanson, Ancien Combattant, que j’ai appelée Petit N’imprudent, l’histoire d’un ancien combattant offensé par un jeune et qui dit son mécontentement en mauvais français”, souligne l’artiste qui, malgré les évidences, n’est jamais parvenu à faire valoir sa paternité (et les droits qui en découlent) sur cette chanson devenue un succès à travers tout le continent dans sa version signée par le Congolais Zao.

Un conteur

Pas une pointe d’amertume aujourd’hui à ce sujet dans les propos d’Idrissa Soumaoro, passé tout proche d’être à nouveau spolié en 2018 après avoir découvert un de ses titres sur la bande originale du film Black Panther sans même en avoir été informé ! Victime de sa discrétion ? “Il n’a jamais cherché à avoir une carrière, à atteindre une renommée. Il est à l’opposé de ça”, décrypte Yao Dembele, qui rappelle que l’homme a préféré consacrer sa vie professionnelle à s’occuper des non-voyants, comme en témoigne sur le plan musical le 33 tours de 1978 avec le groupe Eclipse (dont étaient membres Amadou & Mariam).

“Je suis quelqu’un qui ne parle pas beaucoup. Je suis plus concentré à suivre ce qui se passe autour de moi qu’à m’exprimer”, reconnait le lauréat 2004 du prix Découvertes RFI. “C’est un conteur”, affirme encore son partenaire français. “Il faut souvent mettre une note d’humour pour faire avaler ce que je dis”, considère l’intéressé qui se voit davantage comme un “auteur satirique”. On en oublierait presque son rôle au sein des Ambassadeurs, la formation emblématique de Salif Keita où il tenait les claviers et avec laquelle il assure avoir fait ses adieux à la scène en 2015. Les dix chansons de Diré permettent de prolonger le plaisir.

La Rédaction

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