You are currently viewing <strong>Géraldine Tobe, l’artiste qui magnifie le feu</strong>

Géraldine Tobe, l’artiste qui magnifie le feu

Cette plasticienne de République démocratique du Congo (RDC) est connue pour sa technique particulière, un effet miroir de sa propre trajectoire : elle peint avec ce feu qui l’a traumatisée, enfant, lorsqu’elle a été prise pour une « sorcière » et exorcisée avec des bougies. Le noir de ses œuvres, peintes accrochées au plafond avec des pochoirs, est produit par la suie de lampes à pétrole. L’artiste se laisse guider par la fumée, dont elle suit les caprices durant l’exécution de son travail.

L’exposition, montée sur des structures de métal orange de style industriel, propose le produit prolifique de deux années de travail sous pandémie de Covid-19. Elle n’est pas seulement monumentale par le nombre, la qualité et l’originalité des œuvres, ou encore par son thème, « Kalunga ». Ce mot, qui signifie « ce qui relie » ou encore « ce dont on ne voit ni le début ni la fin », fait référence aux spiritualités du Congo, qualifiées « d’animistes » par les ethnologues des temps coloniaux. Les toiles évoquent un culte qui place au centre l’énergie reliant les êtres et l’Univers. Ces grands formats en noir et blanc sont décryptés au travers d’un catalogue – un collector –, mais peuvent être interprétés librement. Un triptyque intitulé Et Dieu créa la femme évoque les interférences du catholicisme importé par les missionnaires, ces « prêcheurs des petites âmes noires », comme on les appelait. « Il place la main sur l’épaule de sa prochaine victime, explique le catalogue. Un contact mortel. »

Une foison d’œuvres dans un écrin colonial

L’exposition tire aussi sa forte dimension symbolique du lieu qui l’abrite : l’imposante Lever House, rue Royale, à deux ou trois stations de tramway du palais royal qui fut celui de Léopold II. L’opulent monument, ancien comptoir commercial tapissé de marbre, avec ses coursives et son plafond à caissons, est classé par la région Bruxelles-Capitale comme un exemple d’« art colonial ».

La raison? « Son aménagement intérieur grandiloquent, conçu comme une ode à l’exploitation du Congo par son ancien propriétaire, un industriel britannique qui importait l’huile de palme produite au Congo belge ». Cet entrepreneur, William Lever, qui vendait les savons Sunlight avant de fusionner avec une société néerlandaise et de devenir Unilever, avait érigé dans l’entrée deux bronzes géants de « sauvages » africains, des forces brutes assez peu à leur avantage. D’un côté, « le coupeur de noix de palme » et, de l’autre, « la pagayeuse »… Au milieu trône aujourd’hui un autoportrait de Géraldine Tobe à l’enfant. L’artiste a bien voulu répondre à la demande de Hans de Wolf, un historien de l’art de l’Université libre de Bruxelles (ULB), commissaire de son exposition. Elle s’est dépeinte adulte, dans une pose toute catholique de Vierge à l’enfant, sauf que c’est la fillette qu’elle fut elle-même qu’elle tient dans ses bras et n’oublie pas. « J’ai toujours eu une démarche sur la résilience et la réconciliation, explique l’artiste. Le fait d’exposer dans ce bâtiment prouve qu’un travail est en train de se faire en Europe. »

Telle est bien l’intention : cette prison représente le colonialisme, « quelque chose de brutal », précise Hans de Wolf. De même, un film d’archives de la cinémathèque, des actualités des années 1950, présenté à une bande de Congolais en goguette à Bruxelles, tour à tour en costume et en raphia… Le film dérange – et c’est voulu – parce qu’il est présenté à l’état brut, muet et sans commentaires.

Pour Géraldine Tobe, art et thérapie ne sont jamais très éloignés. Elle a d’ailleurs assisté à l’ULB à la projection d’un documentaire, A Buakama, le rejeté, de son ami Jeanpy Kabongo, sur la discrimination des personnes atteintes d’un handicap mental au Congo et sur son projet d’art-thérapie mené au centre neuro psycho-pathologique (CNPP) de Kinshasa. Un hommage à son frère aîné, qui l’a initié à la pratique artistique malgré sa maladie mentale.

L’artiste va refaire parler d’elle ce mois-ci, puisqu’elle est l’un des trois peintres issus du continent ayant exécuté une œuvre qui va décorer la coiffe du lanceur Ariane 5 lorsqu’il lancera, le 14 décembre 2022, un nouveau satellite d’observation météo au-dessus de l’Afrique.

 

La Rédaction

Laisser un commentaire