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Didier Awadi, rap souple pour paroles fermes

Pionnier du rap africain francophone, devenu au fil des années un artiste majeur du continent où il fait figure de modèle pour ses convictions, le Sénégalais Didier Awadi joue son rôle anticonformiste sinon provocateur avec son nouvel album Quand on refuse, on dit non. Un manifeste sans concession, qui témoigne de son attachement profond à son continent.

Chaque fois que Didier Awadi annonce un nouveau projet, une interrogation pointe aussitôt, avec cette curiosité teintée d’impatience : de quelles lames affutées sinon tranchantes équipera-t-il ses mots pour défendre, avec cette fougue qu’on lui connait depuis ses débuts, ses idées panafricanistes et anticolonialistes ? Car la question n’est pas de savoir jusqu’où le rappeur néo-quinquagénaire est prêt à aller, lui qui a tenté récemment avec l’Ivoirien Meiway de mobiliser l’opinion contre les mandats présidentiels à répétition et s’est vu interdire un concert dans ce cadre, mais à travers quels prismes.

Il y a quelques mois, on en avait eu un aperçu : « Tu t’indignes, parce que Poutine envahit l’Ukraine […] Tu vois le drame à ta porte, tu peux pas rester zen. Car ils sont comme toi, le même sang qui coule dans les veines […] Tu n’as pas bronché pour la Libye. Pour voler le pétrole et tout le gaz, t’as trouvé l’alibi. J’ai vu l’Otan criminelle complice de Sarkozy », relevait-il dans Géométrie variable, premier extrait de ce nouvel album Quand on refuse, on dit non, titre emprunté à l’ultime ouvrage inachevé de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma (lauréat du prix Renaudot en 2000 avec Allah n’est pas obligé).

Pour souligner son propos, Didier Awadi se sert aussi des images. Déjà dans le clip de L’Impertinent, sur le précédent album Made in Africa en 2018, il s’était imaginé menotté, amené devant une cour pour se défendre – et y faire souffler le vent de la révolte. Cette fois, pour la chanson qui donne son nom à l’album, il va jusqu’à renverser les rôles entre Africains et Européens (comme l’avait fait le long-métrage Africa Paradis en 2007) dans une mise en scène de l’esclavage, avec des fouets, des chaines et du sang.

S’il convoque l’histoire pour interpeler, le lauréat 2003 du prix Découvertes RFI la met en résonance avec le présent, voire l’actualité : « La sécurité, tu l’as déléguée, confiée au pire des oppresseurs qui t’a colonisé, opprimé”, dit-il ici ; « Ton territoire, c’est ton armée qui doit sécuriser. Une question de bon sens, je te parle de souveraineté », poursuit-il, soutenant en creux les régimes militaires maliens et burkinabè qui ont mis en terme à la présence militaire française sur leurs territoires. Le message de ce manifeste ? « L’indépendance, il y a des sacrifices à assumer. Quand t’es responsable, il y a des devoirs. II faut assurer. »

L’artiste, héritier de la pensée de Thomas Sankara et souvent coiffé d’un béret orné d’une étoile à la façon de Che Guevara, puise aussi dans le patrimoine, à l’image d’Il n’est jamais trop tard : en introduction, un extrait du discours du leader ghanéen Kwame Nkrumah datant de 1958 invitant les États d’Afrique à s’unir, puis c’est la mélodie de Doni Doni, un classique du Bembeya Jazz National de Guinée (repris entre autres par Africando) qui se fait entendre. Avec des paroles différentes, en lien avec les problématiques que Didier Awadi aime mettre en avant : « Mes copains ont des voitures » et donc devenu « Il y a eu la dictature », tandis que « Petit à petit, l’oiseau fait son nid » a été changé pour « Petit à petit, la démocratie » ! La forme aussi a évolué : la relecture du Sénégalais prend l’apparence d’une combinaison reggae particulièrement efficace dans la tradition jamaïcaine, où le refrain est chanté par son compatriote Diyane Adams tandis que lui, en contraste, débite son texte avec rapidité et agilité.

Sans doute peut-on voir dans l’inspiration comme dans le processus de transformation artistique appliqué à cette chanson l’une des influences de l’expérience du rappeur, en tant que présentateur et coproducteur de l’émission télévisée Sargal. Depuis deux saisons en effet, il reçoit ceux qui ont marqué par le passé la musique de son pays et du continent et adapte un ou deux titres phares de leur répertoire avec son propre groupe. Le travail effectué avec ses musiciens et l’osmose entre eux s’entend en particulier sur la reprise live de J’ai pas le temps, glissée en toute fin d’album et qui figurait dans sa version studio sur Ma Révolution en 2013.

Le cofondateur de Positive Black Soul, groupe avec lequel il a démarré dans les années 90, convie aussi à ses côtés sur l’album son ancien complice Duggy T mais également son ainé Baaba Maal (aperçu dans Black Panther : Wakanda Forever, dont il signe un titre de la BO), ou encore le rappeur malien Mylmo. L’esprit du hip hop original, avec ses codes, n’a jamais quitté Didier Awadi. Affirmant son statut de « rappeur number one » et renvoyant dans les cordes potentiels et improbables concurrents, l’homme est toujours à l’aise dans la posture du rappeur égotique : « Tu croyais quoi ? Que j’étais mort, que t’allais m’enterrer ? Sorcier, même dans tes rêves, l’ange de la mort viendrait me déterrer. Désolé, tu vas souffrir, je vais te dégouter ». L’art du clash.

 

La Rédaction

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